mardi 12 août 2008

Psychologie de comptoir...


...ou plutôt de salle d'attente, devrais-je dire. Je replante le décor. Braine-le-Château, petite bourgade du Brabant Wallon, arrondissement de Nivelles, 9000 habitants et des poussières. Une grand-rue, une petite école, un pilori médiéval, un moulin banal, un vidéo-club, un inévitable restaurant chinois, et quelques friteries. Oh, et des vaches, plein. Accessoirement, c'est aussi le village dans lequel j'ai grandi, pauvre petit Bruxellois déraciné à 12 ans, et, de fait, on y trouve, en cherchant bien, le docteur Z, mon médecin traitant. Comme j'étais de passage la semaine dernière, je me suis dit que j'allais aller saluer cette brave dame, et, tant qu'à faire, dresser le bilan de mon état de santé, de mes angoisses et autres tracasseries de moral.

Direction donc son cabinet. Rendez-vous à 11 heures, posage de fesses dans la salle d'attente. Encore deux personnes devant moi ; le docteur Z n'est pas réputé pour sa ponctualité. Bah, après tout, j'ai du temps à perdre, je suis naze, je vais somnoler un bon coup dans le fauteuil Ikea, en faisant semblant de lire la première gazette venue ; c'est ce que tout le monde fait dans une salle d'attente, ce me semble. Arrivent alors deux dames, ensemble. La première, une cinquantaine bien entamée, petite et forte, doit venir du coin (sans jugement aucun). La seconde, sa fille, peut-être. En fait, sa belle-fille. Une grosse vingtaine, maigre à faire peur, décolorée, training, casquette. Dix minutes se passent, un vieux monsieur entre et s'installe à son tour. Je somnole toujours sur mon supplément du Vif, personne ne fait attention à moi. Décor planté, les trois coups ne vont pas tarder. Une comédie? Non, un drame plutôt ; du social, of course. On est en Belgique, tout de même!

Le premier acte commence sans transition. Le téléphone de la demoiselle susmentionnée sonne.
La jeune fille : C'est lui. J'dois répondre.
Elle sort, décroche, crie, crie encore, prend un air suppliant, re-crie, raccroche. Et rentre.
La jeune fille : Il s'en va, il s'en va le con. Il veut quand même qu'on se dise au revoir.
Pleurniche, rage.
La jeune fille : Et puis qu'est-ce qu'on fout là, hein? Je veux pas la voir, ce médecin. Qu'est-ce qu'elle va faire? Me donner un coup de baguette magique et ça va régler tous mes problèmes? Allez, viens, on s'en va.
La belle-mère : M'enfin, tu sais, tu ne t'en sortiras pas toute seule! Tu as besoin d'aide, on a besoin d'aide quand on est en dépression! C'est pas vrai, monsieur?
Le vieux monsieur lève le nez de son "Top Santé". La soixantaine, un air bonhomme, une chemise à carreaux.
Le vieux monsieur : Je ne sais pas, moi. Quel âge avez-vous?
La jeune fille : Vingt-huit ans.
Le vieux monsieur : Oh, mais vous êtes bien assez grande pour savoir vous-même de quoi vous avez besoin.
La belle-mère : Oui, mais elle est en dépression, elle s'est fait mettre à la porte par son compagnon et elle n'a nulle part où aller. Il lui faut de l'aide.
Le vieux monsieur : Je ne sais pas, moi. Vous travaillez?
La jeune fille : Oui, je travaille en usine. Mais je suis en arrêt maladie depuis deux semaines, et j'ai appris que l'usine où je
travaille a brûlé il y a cinq jours.
Le vieux monsieur : Et vous aimez votre travail?
La jeune fille : Oui, j'étais vendeuse avant, mais les gens n'ont plus de respect pour rien, alors je m'énervais trop facilement. J'aime mieux l'usine, je me sens plus dans mon élément.
Le vieux monsieur : Vous retrouverez bien quelque chose ; à mon sens, vous avez toutes les cartes en main pour vous en sortir.
La jeune fille (à sa belle-mère) : Tu vois? Allez viens, on y va.
La belle-mère : Moi c'est comme tu veux, mais alors ne me demande plus de prendre rendez-vous hein. Et tu dois aussi arrêter l'alcool hein, tu le sais. Tu bois beaucoup trop, beaucoup plus qu'il n'en faut.
La jeune fille : Promis, je ferai un effort.
La belle-mère : Et je dis l'alcool, mais pas seulement. Tout le reste aussi hein. La drogue, tout ça... Ça ne t'aide pas.
La jeune fille : Mais oui, je te dis.
Le vieux monsieur : Ne vous en faites pas, vous avez toutes les cartes en main, toutes les cartes.
La jeune fille : Merci, monsieur. Vous avez fait une bonne action. Allez, viens, on y va.
Et elles sont parties. Rideau.

Je ne vous jugerai pas monsieur, pas plus que je ne voudrais que l'on me juge pour ne pas être intervenu. Je pense, moi, que la demoiselle avait besoin d'aide. De professionnalisme. De conseils, judicieux. Je pense qu'en fait de cartes, elle ne devait avoir en main que trois bouts de cartons, en moins bon état que ceux de ma bannière. Je pense qu'elle a foncé tête la première dans la porte de sortie que vous lui avez ouverte. Je pense à elle en fait ; depuis cette scène dans la salle d'attente. J'espère que vous avez vu juste, mais j'en doute. Je pense que drogues et alcool étaient les clous de son cercueil, vos cartes en main n'étaient que des oeillères. Je pense qu'à votre place, je n'aurais pas eu cet air satisfait de bon samaritain en me replongeant dans cet article sur l'influence de la ménopause sur la vie sexuelle des seniors. Je ne vous juge pas, monsieur ; mais si je priais, je prierais pour la demoiselle. Tout ça sent la Palme d'Or à Cannes, et ça commence à bien faire.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'adhère: Papy aurait pu tenir sa langue et garder la quintessence de son raisonnement benoît pour les copains du café "chez Gisou"!

Certaines personnes on un seuil de tolérance aux emmerdements très élevé, elles se laissent couler dans les problèmes jusqu'à ce qu'ils deviennent vraiment inévitables: on les appelle les serial loosers, ou pièges à embrouilles.

La paranoïa a du bon parfois!