jeudi 28 août 2008

Biotope

n.m. (écologie) : Ensemble d'éléments caractérisant un milieu physico-chimique déterminé et uniforme qui héberge une flore et une faune spécifique.

Vous le connaissez certainement. Vous le fréquentez même peut-être ; si ça tombe, vous l'appréciez. En tout cas, si vous êtes homosexuel, vous ne pouvez qu'y avoir été confronté, au moins une fois dans votre vie. (Ou alors vous êtes soit sacrément refoulé et vous cocoonez dans le placard, soit vous habitez une île déserte - et vous ne lisez donc pas mon blog. En ce cas, je ne vous parle pas, à vous. Là.) Dans la majorité des endroits francophones que je connaisse, on l'appelle tout simplement "milieu". Le milieu gay, pour être plus précis. Dénomination intéressante s'il en est, d'ailleurs ; avez-vous déjà entendu parler d'un "milieu hétéro"? Une drôle d'étiquette ghettoïsante, pour nous qui clamons et réclamons l'égalité. Soit, ce débat n'est pas à l'ordre du jour (et ne le sera probablement jamais, je m'en fous un peu ; je n'ai pas de revendications particulières à ce sujet).

Quand on parle milieu, ça m'évoque plutôt un carcan auto-imposé, une masse de gens assumant à des degrés divers leur sexualité "hors-norme", une localisation plus ou moins géographiquement entendue où nous évoluons en terrain conquis. Le milieu, c'est tout ça, et plus encore. Le milieu, c'est une bénédiction pour la provinciale qui vient s'encanailler le temps d'un week-end, un cauchemar pour le mal-fichu et le trop gros, une ineptie pour le déviant. Car, il faut bien le dire, le milieu formate, le milieu tue la volonté, le milieu ne permet d'affirmer qu'une chose : sous toutes ces différences qui devraient nous caractériser et que nous tentons de mettre en avant pour nous démarquer du voisin, nous sommes tous pareils. Nous sortons tous au même "endroit", même s'il est vaste. Nous y faisons tous la même chose, avec plus ou moins de conviction, plus ou moins d'implication. Nous sortons. Nous croisons untel, et untel, et tout un paquet d'untels ; toujours les mêmes, d'une semaine à l'autre. Nous avons les mêmes "conversations". Nous buvons. Nous dansons, parfois. Nous baisons. Et nous recommençons.
J'entends d'ici les "Oui mais on ne sort pas pour causer philosophie!". J'entends bien. Moi non plus. Je ne dis pas que c'est ce qu'il faut faire ; d'ailleurs je ne dis rien, je n'ai rien à dire. Je m'étonne. Je réfléchis. J'analyse. Je découvre avec effroi les effets de cette autarcie nécrosante dans laquelle nous baignons. J'encaisse l'hypocrisie ambiante, les secrets, les on-dits, les rumeurs, les ragots dont se délecte une société à part qui se parfume à l'élitisme. J'appréhende la consanguinité des idées et du sexe, qui menace les chantiers sentimentaux. Je constate, enfin, qu'au bout du compte, on est tous seuls, dans le milieu.

"Ah, le petit con, écoutez-le cracher sur ce milieu qu'il fréquente assidûment depuis deux ans." Oh, mais je ne crache pas, j'ai horreur de ça. Je ne dénigre rien. Je remets mes pendules à l'heure, pour mieux réaliser ce qui ne me convient plus. Pour me dire que d'autres horizons s'avèreraient sans doute plus épanouissants pour moi. Le monde entier peut bien faire ce qu'il lui plait! Moi aussi. Et je me rends compte, peut-être un peu à l'extrême, que je ne fais pas forcément ce qui me convient, encouragé par une bonne louche de "on est vendredi, il faut que tu sortes", typiquement citadin et sans doute fort commun chez l'homosexuel que je suis.
"Ah, le petit con, il rejoint les rangs de ceux qui se gargarisent d'avoir "dépassé" le milieu, qui pètent plus haut que leurs culs et qui nous méprisent, nous, gays lambdas." Pas du tout. Je ne me prends pour rien, surtout pas pour ce que je ne suis pas. Je redécouvre mes valeurs. Je ne critique le mode de vie de personne ; je me fais mon opinion. Je repositionne mes attentes, mon angle d'attaque, et je m'apprête, le cas échéant, à n'effleurer que la surface.
"Ah, le petit con, alors qu'on l'a vu si souvent là et là!" Aviez-vous déjà remarqué? Je ne bois pas. Je reste souvent dans mon coin. Je n'ai pas d'"amis". J'entretiens conversations courtoises avec qui veut ; mais qu'ai-je rapporté chez moi une fois la porte refermée, si l'on omet le confort financier d'un ancien boulot de serveur? Pas grand chose, sauf exceptions. Et déceptions. Donner pour ne rien recevoir, se rendre compte de l'étroitesse d'esprit de certains, de la floraison en toutes saisons de relations à sens unique ; le sens du flattage de l'ego - pas le mien. Mesurez donc mon implication "là et là". Vous réaliserez peut-être que personne ne me connait, que je n'existe pas. Que si certains devaient lire ce post, j'existerais encore moins. Que je n'ai rien apporté à personne, et vice-versa. Alors? Alors, je tire mes conclusions. Appelez-moi aigri, frustré, jaloux, je m'en contrefous. Je me fais du bien, merci, et je trouve ailleurs ce qu'il me faut pour le faire.

Saviez-vous qu'au siècle dernier, le mot "milieu" désignait le crime organisé dans la langue française? Maintenant, on dit "grand banditisme". C'était ma petite touche acide du soir, bonsoir.

lundi 18 août 2008

Lettre ouverte à un amant potentiel

Cher jeune homme,
(car oui, vous êtes encore vert, et vous êtes indéniablement un homme)

Tout d'abord, je ne suis pas celle que vous croyez. Ça nous évitera les quiproquos. Mais vous, qui êtes-vous? Oh, je vous connais à peine, voyons. Vous pourriez être n'importe qui ; vous pourriez être l'inconnu qui répond aux sourires dans la rue ; vous pourriez être celui qui me regarde par-dessus son café ; vous pourriez être un ami, avant d'être un amant. Vous pourriez avoir mille visages. Mais vous n'en auriez qu'un, lorsque j'aurais franchi vos barrières, lorsque j'aurais fait de vous le seul que je regarde avec ces yeux-là. Je ne vous placerais pas sur un piédestal, je ne ferais pas de vous un idéal, je ne ferais pas de vous l'achèvement de ma vie. Vous seriez mon égal, mais pas comme pourrait l'être mon voisin de palier. Vous seriez le catalyseur de mes sentiments, le point convergent. Vous seriez quelqu'un dont le prénom rime avec passion, découverte, création. Avenir. Et, si le coeur vous en dit, vous seriez quelqu'un dont le nom rime avec amour ; et je vous appellerais bonheur.

Certes, c'est moi qui vous écris, mais nous serions deux. Ce serait une correspondance assidue, des lettres chaque jour, et des timbres Prior. Stephen McCauley vous appellerait "L'objet de mon affection", j'en serais simplement votre fournisseur officiel. Nous serions amoureux, communistes, glasnost à tous les étages. J'aurais pour but de vous rendre heureux, autant que possible, du mieux que je pourrais. Je voudrais savoir que le soir, en me coulant dans vos bras, votre tête est à l'endroit, et qu'en prime elle fonctionne ; je voudrais savoir qu'en vous quittant, nous songeons tous les deux aux retrouvailles prochaines. Je voudrais être celui qui vous épaule, celui qui vous protège, celui qui vous réchauffe. Je voudrais être celui qui vous donne le sourire. Je voudrais aussi, dans cette lettre, ne pas être niais et pourtant je le suis ; ne pas me vautrer lascivement dans ces lieux communs qui me répugnent tant. Mais allez donc parler d'amour, vous, qui ne dites rien.

Je voudrais surtout vous signifier par la présente, très cher jeune homme, que je vous aime déjà. Vous ne le saviez pas encore ; nous ne nous sommes probablement jamais rencontrés. Sachez que je ne suis ni à prendre, ni à laisser. Je suis juste moi, soyez juste vous. Le reste fera le reste ; il est très doué pour ça. Si d'aventure nous nous connaissions, faites-le moi savoir. J'ai beaucoup de choses à vous dire.

Veuillez agréer, jeune homme, l'expression de mes sentiments distingués.

samedi 16 août 2008

Non-sens.


The cannibal king with the big nose ring
Fell in love with a sweet young maid
And every night by the pale moonlight
This is what you'll hear him say
Ba doom
Ba doom
Ba doom ba dee ya dee yeah
Ba doom
Ba doom
Ba doom ba dee ya dee yeah
*slurp*


Découvrez !

mardi 12 août 2008

Psychologie de comptoir...


...ou plutôt de salle d'attente, devrais-je dire. Je replante le décor. Braine-le-Château, petite bourgade du Brabant Wallon, arrondissement de Nivelles, 9000 habitants et des poussières. Une grand-rue, une petite école, un pilori médiéval, un moulin banal, un vidéo-club, un inévitable restaurant chinois, et quelques friteries. Oh, et des vaches, plein. Accessoirement, c'est aussi le village dans lequel j'ai grandi, pauvre petit Bruxellois déraciné à 12 ans, et, de fait, on y trouve, en cherchant bien, le docteur Z, mon médecin traitant. Comme j'étais de passage la semaine dernière, je me suis dit que j'allais aller saluer cette brave dame, et, tant qu'à faire, dresser le bilan de mon état de santé, de mes angoisses et autres tracasseries de moral.

Direction donc son cabinet. Rendez-vous à 11 heures, posage de fesses dans la salle d'attente. Encore deux personnes devant moi ; le docteur Z n'est pas réputé pour sa ponctualité. Bah, après tout, j'ai du temps à perdre, je suis naze, je vais somnoler un bon coup dans le fauteuil Ikea, en faisant semblant de lire la première gazette venue ; c'est ce que tout le monde fait dans une salle d'attente, ce me semble. Arrivent alors deux dames, ensemble. La première, une cinquantaine bien entamée, petite et forte, doit venir du coin (sans jugement aucun). La seconde, sa fille, peut-être. En fait, sa belle-fille. Une grosse vingtaine, maigre à faire peur, décolorée, training, casquette. Dix minutes se passent, un vieux monsieur entre et s'installe à son tour. Je somnole toujours sur mon supplément du Vif, personne ne fait attention à moi. Décor planté, les trois coups ne vont pas tarder. Une comédie? Non, un drame plutôt ; du social, of course. On est en Belgique, tout de même!

Le premier acte commence sans transition. Le téléphone de la demoiselle susmentionnée sonne.
La jeune fille : C'est lui. J'dois répondre.
Elle sort, décroche, crie, crie encore, prend un air suppliant, re-crie, raccroche. Et rentre.
La jeune fille : Il s'en va, il s'en va le con. Il veut quand même qu'on se dise au revoir.
Pleurniche, rage.
La jeune fille : Et puis qu'est-ce qu'on fout là, hein? Je veux pas la voir, ce médecin. Qu'est-ce qu'elle va faire? Me donner un coup de baguette magique et ça va régler tous mes problèmes? Allez, viens, on s'en va.
La belle-mère : M'enfin, tu sais, tu ne t'en sortiras pas toute seule! Tu as besoin d'aide, on a besoin d'aide quand on est en dépression! C'est pas vrai, monsieur?
Le vieux monsieur lève le nez de son "Top Santé". La soixantaine, un air bonhomme, une chemise à carreaux.
Le vieux monsieur : Je ne sais pas, moi. Quel âge avez-vous?
La jeune fille : Vingt-huit ans.
Le vieux monsieur : Oh, mais vous êtes bien assez grande pour savoir vous-même de quoi vous avez besoin.
La belle-mère : Oui, mais elle est en dépression, elle s'est fait mettre à la porte par son compagnon et elle n'a nulle part où aller. Il lui faut de l'aide.
Le vieux monsieur : Je ne sais pas, moi. Vous travaillez?
La jeune fille : Oui, je travaille en usine. Mais je suis en arrêt maladie depuis deux semaines, et j'ai appris que l'usine où je
travaille a brûlé il y a cinq jours.
Le vieux monsieur : Et vous aimez votre travail?
La jeune fille : Oui, j'étais vendeuse avant, mais les gens n'ont plus de respect pour rien, alors je m'énervais trop facilement. J'aime mieux l'usine, je me sens plus dans mon élément.
Le vieux monsieur : Vous retrouverez bien quelque chose ; à mon sens, vous avez toutes les cartes en main pour vous en sortir.
La jeune fille (à sa belle-mère) : Tu vois? Allez viens, on y va.
La belle-mère : Moi c'est comme tu veux, mais alors ne me demande plus de prendre rendez-vous hein. Et tu dois aussi arrêter l'alcool hein, tu le sais. Tu bois beaucoup trop, beaucoup plus qu'il n'en faut.
La jeune fille : Promis, je ferai un effort.
La belle-mère : Et je dis l'alcool, mais pas seulement. Tout le reste aussi hein. La drogue, tout ça... Ça ne t'aide pas.
La jeune fille : Mais oui, je te dis.
Le vieux monsieur : Ne vous en faites pas, vous avez toutes les cartes en main, toutes les cartes.
La jeune fille : Merci, monsieur. Vous avez fait une bonne action. Allez, viens, on y va.
Et elles sont parties. Rideau.

Je ne vous jugerai pas monsieur, pas plus que je ne voudrais que l'on me juge pour ne pas être intervenu. Je pense, moi, que la demoiselle avait besoin d'aide. De professionnalisme. De conseils, judicieux. Je pense qu'en fait de cartes, elle ne devait avoir en main que trois bouts de cartons, en moins bon état que ceux de ma bannière. Je pense qu'elle a foncé tête la première dans la porte de sortie que vous lui avez ouverte. Je pense à elle en fait ; depuis cette scène dans la salle d'attente. J'espère que vous avez vu juste, mais j'en doute. Je pense que drogues et alcool étaient les clous de son cercueil, vos cartes en main n'étaient que des oeillères. Je pense qu'à votre place, je n'aurais pas eu cet air satisfait de bon samaritain en me replongeant dans cet article sur l'influence de la ménopause sur la vie sexuelle des seniors. Je ne vous juge pas, monsieur ; mais si je priais, je prierais pour la demoiselle. Tout ça sent la Palme d'Or à Cannes, et ça commence à bien faire.

jeudi 7 août 2008

Une petite cure de campagne, quelqu'un?


Cette semaine, Flo se met au vert. Enfin, s'est mis. Avec plus ou moins de succès. Les circonstances actuelles de ma petite vie a priori pépère se sont légèrement dégradées ces derniers temps ; à vrai dire, depuis deux voire trois semaines, c'est un peu l'escalade. Problèmes de couple, difficiles à appréhender, difficiles à gérer, difficiles à régler. Mes géniteurs en exil volontaire à Madagascar : un piège. Il s'avère que, dans la précipitation, mon autorité parentale maternelle a négligé bon nombre de détails, certains plus importants que d'autre, mais, à l'en croire, tous aussi urgents. Petit résumé : à coups de coups de fils par quinzaines, me voilà bombardé sténo-dactylo improvisée pour d'illustres inconnus, standardiste téléphonique ("Allo, Bagages Sans Frontières? Je n'ai pas la moindre idée de ce que veut dire ce que je m'apprête à vous demander, mais j'ai besoin de réponses!"), faussaire semi-professionnel (des billets d'avions à falsifier? Je suis votre homme. Évitez juste de m'envoyer vos documents scannés par un inculte malgache, c'est TRÈS compliqué de tripatouiller des visas qui font neuf centimètres sur douze), convoyeur sans permis, vide-grenier, agent immobilier, et voiturier d'occasion. J'en passe et des moins vertes. Soit!

Pour conjurer le sort, je me suis dit qu'un petit séjour dans la demeure familiale, paumée dans le Brabant-Wallon, avec les vaches à droite, le blé derrière et les chevaux en face, me ferait le plus grand bien. C'est vrai que, Boulevard Anspach oblige, on en oublie certaines valeurs. Le calme ; le silence, même. Un vrai bonheur. Il y avait longtemps que je n'avais pas respiré comme ça, longtemps que je n'avais pas dormi la fenêtre ouverte. Longtemps que mes siestes ne sont plus réparatrices, et longtemps que je n'avais pas pris le café sur une terrasse - pas une privée, du moins. Alors je me suis laissé vivre! Il y a un tas de petites choses qu'on perd de vue, en ville. Certes, il y a un tas d'avantages non-négligeables, et je suis un citadin dans l'âme. Mais se rendre compte que, tiens, oui, la voie lactée n'a pas vraiment disparu, on la voit même vach'te bien, ici, les pieds dans l'herbe... C'est incomparable.

Bon, certes, tout ne s'est pas passé comme prévu. Il y a eu des désillusions, un container à remplir sous 35°C, une filleule braillarde qui essaye vainement de tuer un moustique à coups de décibels à 3h du mat', des vertiges de sevrage forcé d'anxiolytiques... Mais j'ai décidé que je me plaignais beaucoup, alors je me tais. Je préfère penser aux sensations que j'ai pu retrouver en quatre jours ; je préfère remercier mon frère et ma belle-sœur de m'avoir accueilli sans rechigner ; je préfère me dire que la campagne, c'est bien, parfois. Et de toute façon, Bruxelles, accroche-toi solidement, parce que je suis de retour, et que la déprime, ça n'a qu'un temps. Je le disais plus tôt ce soir à un ami, et je le répète : ça va chier!

Amen.